Par moments, la journée brûle

Florence, Joëlle, Bernadette, Isabelle, Noémie et Gérard Alle.

L’espoir fait vivre. Une longue attente fait mourir. Et par moments, la journée brûle. Glace ou feu, de toute façon, faut aller au charbon. Le père dégrafe sa ceinture, le mari sort son couteau, le bus se fait caillasser. Mon petit est tout bleu, il est tombé du lit. Tu parles ! Ça, c’est quand la journée brûle les nerfs. Pas besoin d’aller au cinéma. À côté, quand ça commence à casser la vaisselle, je monte le son de la télé. Au-dessus, les garçons gueulent par la fenêtre ouverte. Ils poursuivent les filles dans les escaliers. Le ciel est bleu, la mer est verte, laisse un peu ta braguette ouverte.
Je rêve de campagne. Des poules, des canards, des oies, et un petit bout de pelouse. Tranquille. Une maison pour élever mes gosses. J’en ai eu neuf. Je partais pas en vacances, à cause des autres gens, parce que j’ai mauvais caractère. Quand on s’est séparés, je suis allée habiter à dix kilomètres et j’ai embarqué le chat dans la voiture. Je l’aimais bien, mais j’aimais pas qu’il me ramène un serin jaune, une mésange ou un rouge-gorge. C’est vrai, pourquoi pas un moineau ? C’est pas beau, un moineau, et puis surtout, y en a plein. Eh ben, le chat, figure-toi, il a fait les dix kilomètres tout seul et il est retourné là-bas.
C’est froid aussi, des fois. La journée vous gèle les nerfs. Quand je pense à ce que j’ai vécu petite fille, je pleure sans m’en rendre compte. Heureusement, on vit pour ses enfants et ses petits-enfants. Quand on n’a pas le moral, c’est eux qui vous le remontent. Y s’plaignent, les jeunes. J’en ai un qui est resté jusqu’à 25 ans. Quand il m’a ramené des chaussures de marque, je lui ai dit : Si t’as faim, tu pourras toujours essayer de les couper en morceaux et de les mettre dans ton assiette ! Ils ont jamais assez… Mais quand ils s’en vont, on trouve le temps long. Et une longue attente fait mourir. Ça remonte à mes dix-sept ans. J’attendais mon amoureux qui n’est jamais venu. L’amour… Mon grand-père, pour son anniversaire, il a eu une bonne idée : inviter l’ancien amour de jeunesse de mon père. Eh ben, mon père, il est parti avec. Bon, je critique pas, c’est une belle histoire quand même, surtout qu’avec ma mère…
Ni glace, ni feu. Mon fils a trouvé sa voie. Il travaille à la ferme, maintenant. Toutes les vaches sont dans son portable avec leurs petits noms. Cette année, pour les vaches, c’est H.
Ah ! si on pouvait remonter le temps… Quand on allait chaparder des fruits dans les jardins des p’tits vieux, ils nous chassaient à coups de balai. Maintenant, ils prennent le fusil. Mais, faut dire, c’est plus pour des prunes, c’est pour du fric.
Feu. Je pense à cette statue, dans le vieux quartier d’Amiens : le type qui rentre de la guerre et qui tombe à l’eau, tellement il est soûl.
Glace. Refroidi tout d’un coup, il voit sa femme avec son amant, à la fenêtre. Il a dû se sentir comme une momie égyptienne, quand on lui touille la cervelle pour la vider par le nez.
Ni glace, ni feu. Il est resté là depuis, figé sur place. Les chiens, au moins, ils sont fidèles.

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