L’alphabet du voyage

Challonne Wegman, Tidji Wegman, Chelly Wegman, Tony Malla, Shirley Malla, Jimmy Martin, Océane Martin, Roberto Martin, Allisson Du Perche, Jean-Paul Baronnet, Jacqueline, Nadine Brun-Cosme.

Écrire, c’est quoi ? C’est lire ? Tricher ? C’est recopier ? C’est penser ? Mais penser quoi ? Penser des mots ? Des phrases ? Des idées ? Penser pourquoi ? Pour qui ?

Écrire, ce serait écrire un bébé. Une danseuse. Une lettre. Laquelle ?
Moi, je n’en aime aucune. Alors, ce serait quoi, mon alphabet ?
Toujours, dessous les mots, il y a ma langue. La langue des gens du voyage. Ma langue cachée. Et vous ? La vôtre ? Où vous l’avez laissée ? Dans quel pays ? Dans quel coin de votre tête ? Dans quel creux de votre cœur ?
Main dans main, pieds emmêlés, le cœur s’est brisé !
Écrire, ce serait se donner un trône. Le trône de la langue voyageuse. Un royaume. Un cheval. De ceux qui tiraient autrefois nos caravanes. Parce que nous, maintenant, parfois on se sent comme les derniers Indiens. Parqués. On ne peut plus partir quand on veut.
Parce que nous, parfois, à l’école, les seuls nomades dont on parle, ce sont les homo sapiens. Alors nous, dans cette histoire-là ?
Tchivasse ta vasse dans ma vasse. Mets ta main dans ma main.
Tchivasse te ya ka dans mes ya ka. Mets tes yeux dans mes yeux.
Regarde-moi. L’étoile touche mon cœur qui meurt. Écoute-moi. L’étoile transperce mon coeur et j’ai peur.
Écrire, ce serait lire ce que moi j’ai dans ma tête. Je me nomme. Nomade.
Écrire ce serait penser le soleil. Ce serait panser le soleil parce que s’il s’éteint, moi je meurs. Quand je vois tes yeux quand j’entends ta voix mon cœur est en feu. Je ne suis pas un Indien. Je ne suis pas un homo sapiens. Je suis là. Avec toi.
Ma mère est Italienne du côté de son père. Mon père, lui, est Allemand. Bientôt je me marie. Chez nous les filles comme les garçons, ils arrêtent l’école à seize ans. Écrire c’est dire comment je vis. Pour toutes ces choses pas vraies qu’on dit. Les garçons, à seize ans, ils vont travailler avec leur père et nous, les filles, on reste vers nous. On fait la caravane et puis bientôt, on se marie. Pourquoi partir, si c’est pour vivre seule ?
Sur la photo que j’ai prise, je porte une bague à la main droite. Au majeur. Maintenant, je ne la porte plus. Ça m’énervait. Ce n’est pas encore le temps de ça. Maintenant, c’est encore le temps d’écrire. Écrire qui ? Écrire quoi ? Quoi de moi ?
Écrire l’éclair qui tombe sur mon cœur et se brise. Écrire tes yeux dans mes yeux, lettre à lettre. Même si je n’en aime aucune.
Même si maintenant, on ne peut plus partir quand on veut.

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