Un musée en héritage

Safia Bouabid, Guita Tarif, Egu Angassa, Hassan Sorror, Wieslawa Szurobura et Claude Carré.

Il faut de tout pour faire un musée. Des muses, des visiteurs et des visités. Du haut de leur frontispice napoléonien, tant de siècles hautains nous contemplent, du néo jusqu’à nos jours, en passant par le paléo et autres lithiques.

Voici le musée de Picardie, ouvert à tous les vents de l’Histoire. Comment s’y retrouver, entre ces salles grecques ou égyptiennes, ces tableaux de Puvis de Chavannes, ce statuaire catholique, ces tombes gallo-romaines, ces chapiteaux gothiques ? Que retireront de tout cela Guita la native de Tanger, Safia la kabyle de Tizgirt, Hassan l’homme du Darfour ou Egu l’Éthiopien ?

Que nous raconte ce musée sur les hommes du passé ? En discutant, on y voit vite un peu plus clair. Ce que l’on trouve ici, c’est ce qui rassemble, ce qui évoque à chacun un souvenir ou une équivalence. Un musée parle à tout le monde.

Les rites mortuaires d’Abyssinie sont semblables à ce que faisaient de leurs morts, ici, nos ancêtres préhistoriques. Ces poteries antiques sont les mêmes qu’on utilise aujourd’hui chez les Berbères du Djurdjura. L’homme est le même partout. La civilisation prend des chemins de traverse mais qu’on ne s’y trompe pas : seules les apparences diffèrent.

Egu, Hassan, Safia, Guita, si vous deviez construire votre propre musée, qu’y mettriez-vous ? « Je ne sais pas », dit Guita, peu habituée à ces questions ouvertes, longtemps restée recluse dans un village isolé. Comment parler de ce qui est si précieux, comment le dire ? Son musée personnel est à construire, il doit mûrir avant de voir le jour.

« Moi, dit Safia, j’y afficherais une photo du jour où ma mère est revenue à la maison. Elle avait été si longtemps malade, et si loin de nous. Et j’y déposerais ses bijoux, que je tiens d’elle et que je donnerai à mes enfants ». Ce musée-là est en perpétuelle évolution, les travaux n’y sont jamais finis. C’est vivant, un musée.

« Mon musée, explique Hassan, serait au service de tous ceux qui veulent apprendre. Tout serait à la disposition de chacun, comme une sorte d’université. Et la Croix Rouge soignerait tout le monde, sans distinction ». Hassan, dans la salle des sculptures, a été frappé par cette Eurydice de marbre, mordue à la cheville par un serpent. Enfant, refugié dans une grotte, il avait été épargné par un serpent qui avait rampé sur lui.

Quant à Egu, c’est en anglais qu’il évoque son musée personnel. Pour lui, toute civilisation menacée, toute culture en train de disparaitre ont le droit d’être sauvées. On ne doit pas oublier ce qui nous a faits. Conserver, préserver, garder la trace. Éviter que la barbarie disperse, brûle, détruise les acquis du passé. Sans eux, nous ne serions rien.

En repartant, songeur, étourdi par cette bousculade des temps, j’essaie de nous projeter : nous et nos objets d’aujourd’hui, nos codes et nos coutumes, de qui serons-nous le musée ? Quand ? Nous aimera-t-on quand même un peu pour ce que nous avons été ?

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