J’ai marché sur l’Océan Pacifique

Laurence Gillot avec Alexandre, Amélie, Camille, Kélia, Kenny, Malorie et Aude, Christine, Valérie.

C’était l’après-midi. Au parc d’Émonville. Le cygne venait de me croquer les fesses. Je l’ai repoussé avec mon pied. Des plumes ont volé. Blanches comme des flocons de neige. J’ai insulté le volatile en hurlant :
– Pâte à pâté !
C’est alors que je l’ai entendue derrière moi.
– T’avais qu’à pas lui lancer des cailloux, à cette pauvre bête !
Je me suis retourné et je l’ai vue, assise sur un banc. C’était une vieille dame aux cheveux blancs. Sur les genoux, elle avait un rouleau qui ressemblait à une longue longue-vue ou un télescope
pour observer les planètes. D’accord, j’avais canardé trois fois le cygne, mais de quoi se
mêlait-elle, cette mamie ? !
Pour toute réponse, je l’ai regardée, l’air méfiant, en me frottant le fond du pantalon. Parce que quand même, la bestiole m’avait bien pincé et j’avais mal.
Elle m’a dit
– Je m’appelle Marjorie. Est-ce que tu veux une bergamote ?
J’ai bredouillé :
– Une quoi ?
Elle a sorti de son sac une boîte en métal. À l’intérieur, y’avait des bonbons jaunes. Comme des morceaux de verre. Transparents.
– Goûte, c’est bon !
J’en ai pris un et… j’ai recraché immédiatement. Moi, c’est fraise ou rien !
– Ce sera pour les fourmis ! a lancé joyeusement Marjorie.
Et c’est là qu’elle m’a posé sa drôle de question :
– C’est quoi, ton grand rêve, à toi ?
Immédiatement, j’ai pensé aux dauphins. Je me suis imaginé nageant avec eux.
Marjorie a cueilli une plume de cygne accrochée à mon pull et m’a expliqué que quand elle avait mon âge, elle voulait avoir des ailes dans le dos pour voler. Et là, et là, les amis, tenez-vous bien, elle s’est levée en abandonnant son télescope sur le banc et elle a couru sur la pelouse en battant des bras, telle une mouette. Une grand-mère qui fait l’oiseau, j’avais jamais vu ça !
– Mais aujourd’hui, a-t-elle poursuivi, mon grand rêve, ce serait de voyager partout dans le monde.
Et en silence, elle a sorti de son rouleau, une grande grande carte du monde. Elle l’a déroulée sur l’herbe et s’est agenouillée.
– Tu vois ce doigt de sorcière, là ? m’a-t-elle demandé. Eh, bien, tout au bout de son ongle, c’est là d’abord où j’aurais envie d’aller. J’ai lu, c’était écrit Cap Horn.
Puis, avec malice, elle s’est écriée :
– Et si j’y allais tout de suite ?
Elle a posé ses deux pointes de pied sur son rêve en disant :
– J’y suis ! Viens toi aussi !
J’ai fait un pas et je suis resté debout, immobile à côté d’elle, au milieu du Pacifique… Un instant, j’ai fermé les yeux, j’étais homme-grenouille au cœur de l’océan. Un dauphin pour compagnon. J’étais heureux. Finalement, cette grand-mère un peu zinzin, je l’aimais bien.
Soudain, elle a crié :
– Attention !
Le cygne arrivait droit sur nous, ailes déployées !
Marjorie a saisi sa longue longue-vue pour nous défendre, mais l’animal s’est arrêté net devant… la bergamote. Croc !
Avec Marjorie, on s’est regardés, soulagés, et on a ri.
Voilà, je voulais juste vous raconter le jour où j’ai marché sur l’océan Pacifique. Avec Marjorie. C’était au parc d’Émonville, hier.

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